Gouvernance des coopératives Éviter les dérives
Malgré l'attention qu'elle suscite, la gouvernance des coopératives n'échappe pas à quelques défaillances. Afin de consolider le modèle coopératif et montrer patte blanche à ses détracteurs, l'application du guide de gouvernance va être suivie de près dans un contexte où des initiatives montrent déjà le chemin.
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«Nous serons attentifs à la mise en oeuvre du guide de gouvernance car nous savons être attendus sur ce sujet », lançait Dominique Chargé, président de Coop de France, lors de la présentation, en février, du nouveau guide de gouvernance élaboré par sa fédération (1). Un guide qui arrive dans un contexte mouvementé, entre l'affaire Tereos toujours en cours, après la démission de 70 élus en juillet 2018, et les projets d'ordonnance de la loi EGalim qui secouent quelque peu le monde coopératif et, plus largement, la distribution agricole. La coopération agricole n'a de cesse de démontrer sa légitimité, se sentant poussée dans ses retranchements. « Coop de France doit rester vigilante et être force de proposition afin de préserver les fondamentaux du modèle coopératif », déclarait alors Dominique Chargé. La décision, à la suite des EGalim, d'oeuvrer à un guide offrant des recommandations autour de neuf thématiques principales, n'est pas anodine. La profession estime nécessaire d'adapter le modèle coopératif à l'époque actuelle pour répondre au double enjeu de la relation à l'adhérent à repenser, et des défis sociétaux à relever.
L'arbre qui cache la forêt
« Les contraintes légales de la gouvernance des groupes coopératifs agricoles sont relativement souples », observe Chantal Chomel, co-rapporteure du groupe Efa, dans le dernier numéro des Cahiers du développement coopératif consacré à la gouvernance, une publication de Coop de France et de la FNCuma (1). Et comme le fait remarquer Pierre Pagesse, ancien membre du Haut conseil de la coopération agricole (HCCA) et ex-président de Limagrain, « les carences en matière de gouvernance ne seront pas forcément réglées par la loi. On veut enfermer la coopérative dans un carcan alors qu'il faut lui laisser sa liberté ». Aussi, la proactivité est devenue une nécessité dans un contexte qui pousse à devoir montrer patte blanche. C'est pourquoi Dominique Chargé est si déterminé quant au suivi de la mise en application du guide de gouvernance, auquel l'adhésion reste bien sûr volontaire. Présenté comme une démarche de progrès, cet outil est accompagné d'une enquête d'évaluation en ligne pour mesurer son niveau d'usage et les actions entreprises. Xavier Hollandts et Bertrand Valiorgue, deux enseignants-chercheurs (lire p. 26) qui pilotent une chaire sur la gouvernance des coopératives agricoles et des coops bancaires, ont été sollicités pour donner leur avis. Ils avaient publié en 2016 un référentiel de gouvernance (2).
Plus de pouvoir au HCCA
Pour autant, l'élaboration de ce guide démontre-t-elle que la gouvernance aujourd'hui pratiquée est source de dysfonctionnement ? « L'affaire Tereos est-elle un cas à part ou est-ce l'arbre qui cache la forêt ? », interroge Xavier Hollandts. Pour le président de Coop de France, « on ne peut pas dire que la gouvernance ne fonctionne pas, car même s'il existe des cas de dysfonctionnement, ce sont des cas isolés ». Pour enfoncer le clou, il aspire à ce que le HCCA soit le garant de la mise en oeuvre du guide et des progrès réalisés. Un HCCA « qui n'a pas assez de pouvoir pour faire respecter les principes de gouvernance coopérative comme le démontre l'affaire Tereos », commente Henri Nallet, président de cette instance. Son voeu de donner une amplitude d'action plus large au HCCA pourrait se réaliser : le projet d'ordonnance de la coopération agricole, dans le cadre de la loi EGalim, accorde le droit au HCCA de convoquer une AG aux frais de la coopérative défaillante, si celle-ci ne le fait pas elle-même et, si besoin, de se retourner vers le tribunal compétent.
Pour éviter que le navire dérive, certains points de vigilance sont à surveiller. Le grand débat coopératif, organisé en 2018, fait ainsi émerger qu'un tiers des adhérents ne se sentent pas assez entendus. Même si ce sondage peut être relativisé, il est un indicateur à ne pas négliger. « C'est dans l'intérêt des coopératives de mesurer la satisfaction et, surtout, l'insatisfaction de leurs adhérents, et d'en faire l'analyse », souligne Dominique Chargé. D'autre part, la taille de l'entreprise ne rentre pas forcément en ligne de compte. « C'est le comportement des acteurs qui génère ou pas les dérives. En outre, pour certains, s'intéresser à la gouvernance, c'est ouvrir la boîte de Pandore, car c'est remettre en cause des habitudes et des personnes », avance Xavier Hollandts, observant toutefois que « les coops de petite taille peuvent se permettre encore moins de dérives car la question de survie est très forte et tout se sait très vite ».
Dans sa contribution aux Cahiers du développement coopératif, la professeure d'économie Maryline Filippi met le doigt sur deux pierres d'achoppement. D'une part, l'hétérogénéité des adhérents et la question dès lors de leur représentativité dans les organes de pilotage, qui renvoie d'ailleurs à celle des jeunes et des femmes. D'autre part, la perte de contrôle des agriculteurs au profit du management opérationnel, « liée à l'accroissement des compétences nécessaires pour piloter les groupes complexes, et également dans les petites coopératives ou les Cuma sans directeur ».
Le feu aux poudres
Le manque d'information et de discussions préalables concernant les choix de diversification, voire de développement à l'international, vient renforcer ce sentiment de perte de contrôle. « C'est ce qui a mis le feu aux poudres chez Tereos. Apporter la preuve de la valeur ajoutée générée par les décisions prises pourrait amener la réconciliation, avance Bertrand Valiorgue. Ce n'est pas toujours clair pour certaines entreprises qui voient dans ces stratégies l'opportunité d'atteindre une taille critique et de faire des économies d'échelle. Or, on ne bâtit pas une stratégie sur ces deux éléments. » Une autre question se pose alors : comment mieux diffuser l'information, la rendre plus accessible et lui permettre d'être discutée ? Le niveau de participation des adhérents aux assemblées générale et de section, surtout dans les moyennes et grosses structures (infographie p. 25), met bien en exergue la problématique de l'animation de la vie démocratique. Ce qui fait dire à Dominique Chargé : « Le coeur des dysfonctionnements vient souvent du manque de dialogue. J'invite les coopératives à organiser des débats sur le terrain en dehors des assemblées. »
Éclater la gouvernance
Développer les instances de gouvernance, les ouvrir à des coopérateurs non administrateurs : ces initiatives peuvent participer à se rapprocher de la base. Sur ces dernières années, on peut observer une évolution du modèle de base, avec la naissance de comités spécialisés qui coexistent avec le conseil d'administration, de conseils de métier, de comités territoriaux. L'éclatement de la gouvernance se traduit aussi dans les branches d'activité pour les structures plus complexes ; ce qui permet de garder le fil entre la gouvernance de tête et les filiales. Les témoignages de ce dossier le démontrent bien, que ce soit chez Euralis, Agrial ou encore Terrena qui a rénové son organisation il y a un an (lire pp. 28 à 31).
Parmi les coopératives pionnières à faire bouger les lignes, Limagrain a oeuvré activement aux travaux de la chaire Alter-Gouvernance. Son ex-président Pierre Pagesse n'a pas hésité à aller de l'avant il y a plus de vingt ans, pour impliquer son conseil d'administration dans les divers pôles d'activité du groupe avec une organisation toujours d'actualité : « Une partie du conseil se voit confier le suivi d'une activité durant au moins cinq ans et des membres du bureau sont nommés PDG des sociétés filiales tout en déléguant le pouvoir exécutif au directeur de l'activité. » Pour éviter toute dérive, il a été décrété que « les décisions importantes dans les filiales ne peuvent être prises qu'après discussion par le bureau et validation en CA ». Des initiatives bénéfiques pour le groupe auvergnat et les équipes car « le conseil d'administration de la coopérative mère s'enrichit des expériences de ses administrateurs qui siègent dans les filiales ».
Combiner des visions différentes
Ce type d'organisation vient renforcer la confiance car elle pousse à plus de transparence. Cependant, elle exige des administrateurs de nouvelles compétences qui rendent indispensable un cursus de formation pour leur faire acquérir une vision plus stratégique et à plus long terme. Ce qui peut les mettre dans une position compliquée, voire « ingrate », comme le reconnaît Christian Pèes, président d'Euralis, car ils doivent composer également avec leur rôle de représentation d'exploitants pouvant s'inscrire dans des visions différentes.
Mais faisons confiance à l'intelligence du dialogue pour aller vers la meilleure combinaison possible entre ces divers intérêts et entre les salariés des coops et les adhérents
DOSSIER RÉALISÉ PAR HÉLÈNE LAURANDEL
(1) Téléchargeable sur www.lacooperationagricole.coop (utiliser l'onglet recherche). (2) www.refcoopagri.org
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